L’approche traditionnelle et profondément enracinée en France considère historiquement le vin comme l’accompagnement privilégié du repas. L’objectif est souvent de trouver l’accord parfait pour « sublimer » à la fois le plat et le vin. Ce faisant, une série de règles strictes a longtemps encadré et restreint la consommation du vin à un mode bien particulier. Ces règles relèguent malheureusement la notion de plaisir spontané au second plan, au profit d’une conformité aux usages établis.
Organisant et animant des cours de dégustation depuis 34 ans, je suis témoin de l’évolution de milliers d’amateurs. Progressivement, ces derniers regagnent leur liberté, privilégiant leur goût personnel et s’affranchissant des contraintes transmises par les générations précédentes. Le chemin vers cette autonomie reste cependant long, tant les traditions sont tenaces.
La complexité des accords traditionnels
Il faut reconnaître que la réalisation des accords mets et vins est souvent complexe pour l’amateur. Les plats proposés sont parfois trop élaborés ou délicats à préparer. Ces accords, bien que séduisants en théorie, sont fréquemment abandonnés dans la pratique, car jugés trop ardus et réservés à une ancienne génération de connaisseurs.
Or, l’observation des tendances internationales révèle que dans de nombreux pays, la consommation de vin est principalement axée sur le plaisir simple. Près de 50% de la consommation mondiale s’effectue hors repas : en milieu d’après-midi, en fin de soirée, après le travail, ou dans un cadre de détente. Le moment idéal pour déguster un vin est dicté par l’envie de passer un bon moment, et de pouvoir le partager avec les personnes que l’on aime. Le meilleur vin du monde est celui que l’on apprécie.
L’avantage de la dégustation du vin pour le vin
La dégustation d’un vin sans accompagnement alimentaire permet d’en percevoir pleinement la complexité, la finesse, ou l’élégance, des qualités qui pourraient être totalement masquées par la richesse aromatique d’un plat. Le vin peut être apprécié pour ses qualités intrinsèques.
Au fil des années, j’ai constaté que de plus en plus de personnes estimaient que déguster un vin sans manger était plus intéressant et qu’elles percevaient beaucoup mieux les différentes caractéristiques des vins de cette manière-là.
Le vin de plaisir a un avenir prometteur, à condition de pouvoir valoriser ces moments de consommation décomplexée. Il est essentiel de montrer que boire un verre de vin en dehors d’un repas est un moment de détente et de plaisir parfaitement légitime.
Toutefois, la Loi Évin de 1991 constitue un obstacle majeur, interdisant de facto toute communication faisant explicitement référence au plaisir. Il est concrètement impossible d’avoir une campagne publicitaire (déjà très encadrée) présentant une personne souriante, verre à la main, dans une situation de bien-être. Cette interdiction, considérée comme obsolète par beaucoup, ne suscite malheureusement plus de réaction significative de la part des interprofessions viticoles et des différents organismes qui devraient pourtant réagir vigoureusement…
Notons enfin que la recherche du plaisir s’accompagne généralement d’une montée en gamme. Le vin choisi pour un moment privilégié sera sélectionné avec soin et se distinguera nettement des produits d’entrée de gamme qui sont considérés comme la boisson alcoolisée qui se boit en mangeant.
Cette approche qui privilégie le vin en tant que plaisir central et non plus seulement comme un adjuvant au repas, représente-t-elle l’évolution positive du marché ?